Au Cameroun, le match est serré entre la star Samuel Eto'o et le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, qui veut imposer son entraîneur à la tête de l'équipe nationale de football. Depuis une semaine, les rebondissements se multiplient. Qui va gagner ? Le président de la Fédération camerounaise de football ou le ministre des Sports ? Le journaliste Jean-Bruno Tagne connaît bien la légende du football Samuel Eto'o. Il a été son directeur de campagne en 2022 et a récemment publié sur lui le livre « L'arnaque » aux éditions du Schabel. En ligne de Yaoundé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Pourquoi le ministre camerounais des Sports veut imposer à la Fécafoot un sélectionneur dont Samuel Eto'o ne veut pas ?
Jean-Bruno Tagne : Je pense qu’il faut remonter à ce qu'on peut considérer comme le discours fondateur de cette crise. Et ce discours fondateur, c'est celui de Paul Biya, le 10 février 2024, au cours duquel il constatait qu'il y avait eu des échecs, notamment lors de la Coupe d'Afrique des nations en Côte d'Ivoire. Et, dans ce même discours, il disait qu'il avait donné des instructions fermes au gouvernement et au ministère des Sports pour remettre un peu d'ordre dans la maison. Donc on peut subodorer que c'est ce discours du président de la République qui a mené le ministre des Sports à prendre les devants pour choisir un nouveau sélectionneur pour les Lions indomptables. Surtout que, quand vous voyez tous les actes du ministre des Sports, il cite toujours les très hautes instructions du président de la République.
Donc, a priori, le ministre des Sports est soutenu par le président Paul Biya ?
Absolument. Quand on regarde tous les textes qui ont été pris par le ministre des Sports, il rappelle toujours que ce sont de très hautes instructions de la présidence de la République. Donc on voit très mal comment le ministre des Sports aurait pu prendre sur lui de faire le choix d'un nouveau sélectionneur pour les Lions indomptables.
Alors Samuel Eto'o affirme que le choix d'un sélectionneur est de sa compétence, et pas de celle du ministre, il a raison ou non ?
Il faut dire qu’effectivement, ce qui s'est passé avec le choix du nouveau sélectionneur, c'est le fait du prince. Il y a une véritable bataille juridique sur cette question-là. Il y a la fédération camerounaise de football qui s'appuie sur un décret du président de la République de 2014 qui est venu, en quelque sorte, rétrocéder la gestion de la sélection nationale à la Fédération camerounaise de football. Donc la Fécafoot de Samuel Eto'o brandit ce décret du 26 septembre 2014, mais en ignorant superbement une convention entre le ministère des Sports et la Fécafoot, qui a été signée cette fois en 2015 pour venir préciser les contours de l'application de ce décret du président de la République. Et le ministère des Sports, lui, brandit simplement cette convention-là. Donc il y a cette querelle juridique-là qui est difficile à trancher, parce que les arguments d'un côté comme de l'autre se valent.
Samedi 6 avril, Samuel Eto'o a fait savoir qu'il n'acceptait pas le Belge Marc Brys à la tête de l'équipe nationale masculine et qu'il nommerait son propre sélectionneur d'ici mardi. Mais lundi 8 avril, le Belge Marc Brys a signé son contrat à Yaoundé. Du coup, est-ce que Samuel Eto'o ne se retrouve pas piégé ?
Je vois mal comment Samuel Eto'o pourrait nommer un autre sélectionneur à la tête de l'équipe nationale de football du Cameroun. Et cela pour des raisons objectives. D'abord, ce n'est pas lui qui paye, donc il va lui être difficile d'imposer quoi que ce soit. Et, deuxième chose, je ne vois pas quel entraîneur sérieux pourrait accepter de se lancer dans une telle aventure. Il faudrait être sacrément désespéré comme entraîneur pour accepter d'être nommé à la tête de la sélection nationale du Cameroun alors que le monde entier a été témoin de la prise de fonction du Belge Marc Brys. Donc, en réalité, le match est plié, Samuel Eto’o a perdu.
Et de fait, aucun sélectionneur bis n'a été nommé par la Fécafoot entre samedi et mardi. Est-ce à dire qu'aujourd'hui Samuel Eto'o rend les armes ?
Alors jusqu'à présent, Samuel Eto’o n'a pas mis sa menace à exécution, mais, en même temps, il faut rester très très prudent parce que Samuel Eto’o, c'est quelqu'un de déterminé, il ne s'avoue jamais vaincu en bon attaquant qu'il fut, donc il est possible qu'il puisse aller jusqu'au bout de sa logique. Mais ce ne serait qu'un acte de bravade et rien de plus, parce qu’il n’y aura pas deux sélectionneurs à la tête de l'équipe nationale de football du Cameroun, ce n'est pas possible.
Un ministre des Sports qui impose un sélectionneur à sa fédération, ce n'est pas très bien vu dans le monde du football international, est-ce que Samuel Eto'o peut former un recours devant la CAF, la Confédération africaine de football, ou la Fifa?
Alors, il faut qu'on soit d'accord sur le principe, le football, dans tous les pays normaux, se gère par les fédérations, donc normalement, les ministères n'ont rien à voir dans le choix de l'encadrement technique. Et donc, le Cameroun est une curiosité mondiale, parce que j'imagine que le monde entier se gausse en apprenant qu'au Cameroun, il y a des menaces de bicéphalie à la tête d'une sélection nationale. Donc c'est très mal vu. Mais je serais bien surpris que Samuel Eto'o attaque cette affaire devant la Fifa, parce qu'en réalité, s’il attaque, la Fifa risque de suspendre le Cameroun et là, encore, c'est lui qui serait perdant parce qu’il deviendrait président en réalité d'une coquille vide, parce que, qu'est-ce qu'un président de fédération si son équipe nationale ne peut participer à aucune compétition ?
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